Accueil > Archives > Année 2013 > Novembre 2013 > Raymonde Howard
Raymonde Howard est l’alter ego artistique, le projet solo, le costume idéal et fantasmatique de Laetitia Fournier. Les origines de Laetitia sont clairement le punk, la noise, les filles à guitares, à travers tous les groupes stéphanois dont elle a été la chanteuse/guitariste depuis le milieu des années 90 (Goofball, Kiss Kiss Martine, La Seconda Volta). Mais après une année passée en Angleterre, Laetitia révèle Raymonde Howard, une identité solo, forcément plus intime, plus à nu et à vif. Un premier album éponyme sort en 2006 sur son microlabel Angry Ballerina où Laetitia trouve en Raymonde un espace de liberté créative jusque-là jamais exploitée.
Quatre ans plus tard sort chez We are unique records “For all the bruises black eyes peas”, un deuxième album renversant produit magistralement par le stéphanois Ives Grimonprez. Laetitia s’y révèle une véritable songwriteuse. Au sein de ce disque terrifiant, se télescopent blues dégénérés et boucles sonores à la loop station, le fantôme de PJ Harvey y rode mais entouré par tous ceux des filles en colère qui gravent leur douleur sur des sillons depuis un siècle. Rageuse, cynique, moqueuse, endolorie, la voix de Raymonde Howard semble avoir déterré le secret archaïque de blues antiques perdus.
Que faire après un tel disque, couvert d’éloges, après deux folles années 2010/2011, deux pages dithyrambiques dans Libération, une Black session sur Inter et des dizaines de concerts à travers la France, l’Europe et le Canada. Lorsque Raphaëlle Bruyas lui propose de composer quelques morceaux pour la bande son du film qu’elle s’apprête à tourner, “Le Lit”, Laetitia fonce et relève le défi. A partir du seul script, Laetitia écrit huit morceaux bâtis sur les rêves d’une autre : la contrainte comme force créatrice après un succès critique qui en aurait inhibé tant d’autres, mais comment Raymonde Howard n’aurait pas été sensible aux déambulations oniriques d’une jeune femme sur un lit à travers les rues stéphanoises. En partenariat avec l’équipe de Raphaëlle Bruyas, l’enregistrement se fait au Fil à Saint Etienne sous la houlette de Greg Alliot au cœur de l’automne 2012, sans que Laetitia n’ait vu une image du film, mais les chansons sont là.
Toujours accompagné par son complice Fabrice à la batterie, Laetitia cachée derrière les masques de l’histoire d’une autre, s’entoure d’amis aux chœurs, à la basse ou au violoncelle, Ives Grimonprez revient lui aussi pour assurer le mixage avec Greg Alliot. Forcément plus collectif, le miracle se reproduit pourtant, la musique est toujours rêche, indomptée, tendue : si “Brooke Shields alphabet” déroule son énumération délirante sur les différentes façons de passer la nuit sous la couverture d’un exercice d’écriture automatique, “Fool lover” est un pur blues dégénéré de désir féminin. Alors que “Push the envelope” invite joyeusement à passe à l’acte comme une parfaite pop song gorgée de chœurs féminins, Laetitia ne peut s’empêcher d’y glisser des images inquiétantes et “A constant war” nous renvoie à notre désastreux quotidien commun. Ainsi, si des titres sont habités explicitement par l’esprit déambulatoire et rêveur du film (”The bed”, “Double Dare, Do”, “Tide ride” …), les obsessions de Raymonde suintent par tous les pores du disque.
Dans un monde d’albums trop longs, Raymonde jamais ne remplit, son art de la miniature nous obligeant à jouer et rejouer “Le lit” encore et encore et à attendre le suivant.
Voir en ligne : Leur site web
Ce que vous avez dit